lundi 17 novembre 2008

Extrait

Je vois ma vie défiler. Pourtant je ne suis pas en train de mourir, mais bien de vivre.
Je vois ma vie défiler, comme si j’étais bloqué devant la chaîne d’Etat nord-coréenne, et que le même film de propagande passait, encore et encore. J’écris seul le scénario de ce film depuis dix ans, depuis les derniers jours d’avril 1999 pour être précis. Depuis que mon frère est mort, et que j’ai commencé à en savoir plus sur le suicide de mon père 12 ans plus tôt.

Silence, silence, silence, moteur, silence, action.



En 1987, j’avais 6 ans et demi lorsque mon père a été retrouvé pendu, très tôt un matin des premiers jours de septembre. Je n’avais aucune conscience des choses à cet âge, et, même si les événements sont flous dans ma mémoire, je me rappelle parfaitement être allé réveiller mon frère d’un « Papa est mort ». Je n’avais aucune idée de la portée que pouvait réellement avoir ma phrase, je lui ai juste répété ce que l’on venait de me dire. Cela me semblait bien étrange que ma grand-mère soit là avant l’école, mais j’ai du m’envoler pour la Lune ce matin-là.

Je n’ai aucun souvenir des jours qui suivirent, ni de l’enterrement, ni de ma rentrée scolaire.

Je n’en ai qu’un de mon père. Un seul précis en fait. Deux.
Un matin que je descendais d’une nuit écourtée, il était là, levé, prêt à aller à son cabinet. J’y ai repensé il y a quelques jours à une table ronde pour les céréales Quaker Cruesli. Je n’avais que cette image en tête, pendant les quatre heures que cela a duré, toutes ces questions, « mais alors qui les consomme ? », « les couleurs ? trop foncées ? », cette image simple de mon père dans la cuisine et de ce tôt matin.
L’autre souvenir c’est d’être chez je ne sais qui, au Touquet, à la fenêtre, et d’attendre de voir mon père qui courait le marathon avec mon frère, passer. « Là là ! » Je me demande vraiment qui étaient ces gens chez qui j’étais…

Voilà certainement pour le point de départ. La mort de mon père, Dominique Harmignies, 1952-1987. Médecin, époux de Isabelle Harmignies Milbled, 1952 aussi et en vie.




C’est ma classe de CP qui commence à me fournir quelques souvenirs, à part celui, indélogeable que nous étions tous amoureux de Géraldine. Mon cahier d’écriture en est un exemple fort. Avec la punition que Madame Voye m’infligea ce jour, excédée.
Elle m’ordonna de faire le tour de toutes les classes de CP, et de montrer à chaque maîtresse mon cahier, pour que chacune le tende bien haut et fasse passer ce cahier du diable à tous ses élèves en tant qu’exemple à ne pas suivre.

Les points que je mettais sur les « i » étaient certes énormes(oui Lulu comme ma tête), disproportionnés, mais le traumatisme résultant de cette humiliation devant l’ensemble de l’école l’était tout autant.
Avant ou après cet épisode, un autre m’apparaît tout aussi clairement.
Ma mère devait être appelée à venir me chercher, d’urgence, car je ne voulais pas rester à la cantine. Je devais jouir d’une certaine immunité grâce au décès de mon père. J’ai un souvenir si précis, si clair de ce moment où ma mère est venue me prendre pour me ramener à la maison, que j’ai l’impression de revivre la scène et d’endosser mon corps d’enfant. Enfin corps d’enfant…si ce livre est accompagné de la photo de classe de CP, vous n’aurez pas de mal à me trouver, je n’en dirais pas plus.
La délivrance qui suivit ce secours était rassurante, et en plus je savais que j’allais pouvoir regarder Supercopter à la télé. Quel plaisir ! Le générique de cette série était si trépidant, j’imagine mon regard absorbé derrière mes lunettes rondes de couleurs, rondes comme des points de i. J’ai du avoir une vingtaine de paires de lunettes, toutes plus funky les unes que les autres, ma mère doit en avoir une partie chez elle, ça fera une bonne mise en page.

Un autre jour, intimidé à l’idée de demander pour quitter la classe en pleine leçon, je me suis fait « dessus » en pleine classe. Arrimé à ma chaise, gesticulant et essayant en même temps d’éviter tout bruit intempestif, j’agissais en fait comme une sourdine de trompette avec mon siège, et manque de pot, un paquet d’oreilles et de nez gênés m’avait bien fait comprendre que quelques notes leurs parvenaient. Arrivé aux toilettes évidemment il était trop tard, la partition était finie. J’ai une scénographie précise de la suite de ce passage, car il est à l’origine de mon aversion pour les slips. La douche habillé, pleurant de gêne et de honte, je disais adieu à mon slip Zorro, et aux slips en géneral.

Géraldine était une fille superbe, brune, souriante, malicieuse(j’aurais pu mettre « aucune transition » entre les deux paragraphes mais à ce niveau-là de passage de coq à l’âne, inutile)
Laurent, l’autre Aurélien, et tous les garçons de la classe se battaient pour s’asseoir à sa plus immédiate proximité. Malheureusement pour moi, ce sentiment resterait au stade de contemplation, et jamais je n’arracherais un baiser à sa bouche.
Julie elle, m’en arracha un. Au sens propre. Aujourd’hui les parents d’élèves porteraient plainte à la vue de l’acharnement avec lequel elle me courut après, me plaqua contre le mur de briques du fond de la cour, et m’embrassa avec un appui forcené, le tout contre ma volonté. Julie était jolie, mais moins que Géraldine.

Le mur du fond, c’était là qu’on parlait avec les grands du collège. Notamment moi avec ma sœur. Je m’en souviens car une fois où elle et ses amis m’embêtaient, et que je tentais de me défendre et de leur répondre par les insultes que je connaissais, dans un geste de défiance ultime, pensant leur clouer le bec et avoir le dernier mot, je leur adressais un magistral doigt d’honneur…du mauvais doigt ! Je m’étais mis seul hors de cette bataille, tel un kamikaze qui fait plouf.

C’est tout ce qu’il me reste de vivace de mon CP. Mon CE1 n’est pas plus fertile en souvenirs, mis à part le nom de ma maîtresse, Mme Dassonville, et encore le doute est amplement permis.
Un jour que nous devions lire chacun un livre, je me remémore m’être à nouveau fait gronder car j’avais fini de lire avant les autres, mais genre bien avant, et un peu trop rapidement au goût de Mme Dassonville. J’avais pourtant lu chaque mot, chaque page. J’ai certainement du le clamer haut et fort. « Tu as fini Aurélien ?!? ». « Oui ». « Ce n’est pas possible ». J’entends d’ici cette voix de pie mettre en doute mes capacités d’enfant de 7 ans.
Puis les classes, les récréations, les années, les personnes, se mélangent un peu. Et forment un gros dossier que j’aurais plus de mal à effeuiller...

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Je viens de lire plus de la moitié de ce blog d'un coup. J'en ai littéralement la nausée, et je t'en remercie.
Écrire "ceuillir" me plonge dans un abime d'angoisse, et au CP, j'oubliais mes points sur les i.
Je ne sais si ce commentaire tardif trouvera un écho, mais on s'en fiche: je ne suis jamais que de passage.

Grégory Laville a dit…

Bonjour,
Je viens de lire votre texte. Et j'avoue que je suis assez troublé. J'ai connu votre père, parce qu'à l'époque j'étais très copain avec votre frère. Ce fut même mon meilleur ami jusqu'à l'arrivée au collège. Je connaissais l'existence d'Hélène, mais j'ai beau chercher dans ma mémoire, j'ignorais que Vianney avait eu un petit frère. Vous pouvez me joindre si vous le souhaitez.